Ce matin, je sculpte des seins !
Ah ! Ce n'est pas une sinécure de fabriquer des poupées - enfin ce qu'il est convenu d'appeler des "poupées" !
Dans un message déjà ancien, je disais que je ne parvenais pas à réaliser mon elfe (jumeau de Bottom). J'avais le corps, les bras, les jambes et la tête, alouette ! Mais je ne le "visualisais" pas. Je l'ai donc mis de côté, en attendant l'inspiration. Entre temps j'avais composé un choix de tissus et de formes pour son costume d'elfe. Sans grande conviction, je l'avoue, puisque je ne savais pas à quoi il ressemblerait.
Puis, lasse de voir ce corps démembré dans son sachet plastique, j'ai pris le taureau par les cornes et décidé de lui créer un visage. On verrait bien après tout !
Déjà, un vague soupçon m'a effleuré lorsque j'ai abordé la sculpture finale . Quelque chose se tramait dans mon dos. Après la peinture de la bouche, j'ai dû me rendre à l'évidence, je ne dessinais pas ce que j'avais l'intention de dessiner ! Et les yeux ? Encore pire ! Une fois tout terminé, la tête sans cheveux me regardait avec un petit sourire ironique : je t'ai bien eue, hein !
Mais, en bretonne qui se respecte, la Nijenn est têtue. Avec une bonne coupe de cheveux dans un matériau adéquat, il n'y paraîtrait plus. Las ! J'ai tout essayé, ! Même avec trois brins de raphia épinglés à la diable sur le haut du crâne, la créature avait toujours l'air de qu'elle est : une fée, une magicienne, bref..., une fille !
Bon. Et bien, me dis-je, la fée sera habillée en elfe ! L'habit ne fait-il pas le moine ? Ni une, ni deux. J'ai fixé la tête bien solidement au corps, épinglé provisoirement les membres, commencé à la vêtir et à ajuster les pièces avant couture définitive du costume d'elfe.
Et là, vous savez quoi ? Elle m'a fait une de ces comédies ! Elle se trouvait affreuse dans ce déguisement grotesque ! Les rayures du collant lui faisaient de grosses jambes, la couleur de la veste ne lui allait pas au teint , les plis du pantacourt lui faisaient un ventre énorme, et j'en passe... Ce qu'il lui fallait ? Une robe , des dentelles, des broderies, de la soie, des perles... des habits de fée, quoi ! Et même de fée archi-fée ! Après quelques tentatives de conciliation, j'ai fini par céder. J'ai sorti mes cartons à dentelles, à rubans, à tissus soyeux et on y a passé l'après-midi et une partie de la soirée. Après moults essayages et batailles on a fini par se mettre d'accord sur une ébauche de toilette qui semblait convenir à la donzelle. Et hop ! Au lit !
Le lendemain, j'ai senti au premier coup d'oeil qu'il y avait encore de la récrimination dans l'air. Elle avait dû y penser toute la nuit, la petite peste !
- Tu m'as fait des épaules de déménageur, et des gros genoux et une taille de rombière...
Evidemment...Je n'ai même pas discuté, c'était inutile.
Je résume, sinon on y sera encore demain : j'ai bidouillé pour rétrécir la carrure et affiner la taille, exhumé une paire de jambes plus minces qui me restait de l'an dernier, fabriqué de nouveaux bras où j'attacherai plus tard les mains préparées pour l'elfe, trouvé une jolie chevelure, taillé et faufilé l'essentiel de sa robe. J'ai épinglé le tout et je l'ai assise dans son fauteuil, les mains absentes bien cachées dans les plis de sa robe. Même comme ça, en brouillon, toute hérissée d'épingles, je la trouvais ravissante.
- Alors, tu es contente ?
Petite moue sceptique, battements de cils faussement ingénus...
- Tu ne vois pas qu'il manque quelque chose ?
Passe un ange, puis deux...
- Vraiment tu ne vois pas ?
Oh que si, je voyais ! Je voyais même très bien. Je voyais surtout que je n'avais pas envie de m'y coller !
- Euh ! Tu crois ? Et si on mettait un petit bouillonné de dentelle, là, comme ça, tu vois ?
- C'est affreux ! J'ai l'air d'un chou-fleur ! J'en veux des vrais ! D'abord, t'en as fait à toutes les autres. Tout le monde en aura sauf moi ! Et toi, hein, toi, tu n'en as pas peut-être ? Ca te plairait de ne pas en avoir ?
Que voulez-vous répondre à ça ? Mademoiselle veut des seins ! C'est humain après tout. Et puisque toutes les copines en ont... N'est-ce pas l'argument fatal ?
Elle va les avoir ses seins ! Les prothèses sont en place, tout est épinglé, ils ne me reste plus qu'à les sculpter à petits points serrés, en veillant bien à la symétrie. Imaginez que je lui en fasse un plus gros que l'autre... le drame !
Pour l'instant, elle me fiche la paix et reste coite : j'ai un peu forcé sur l'anesthésique. Mais il faut que j'y retourne pour terminer ces fichus seins, avant son réveil. D'ailleurs mon petit doigt me dit qu'elle va encore trouver à redire. J'ai même une petite idée de l'objet de ses futures récriminations. C'est que je commence à la connaître, la bougresse ! Ah ! Je la "visualise" très bien celle-là, y a pas de problème de ce côté-là ! C'est une emm... enquiquineuse de première, il faut que tout soit parfait, à son goût, dans le moindre détail.
Il paraît que les chiens ne font pas des chats...
A bientôt, pour le prochain épisode